Assez décodé !
Site de René Pommier |
|
|
....................La rencontre au bal
.......La
scène célèbre de la rencontre entre Mme de Clèves et M. de Nemours se
situe très peu de temps, quelques semaines tout au plus, après le
mariage de celle-ci [1].
Si Mme de Lafayette ne nous a donné aucune indication chronologique qui
nous permette de connaître d'une façon précise combien de temps s'est
écoulé entre les deux événements, c'est, en effet, moins de deux pages
seulement après avoir évoqué en quelques lignes le mariage de M. de
Clèves et de Mlle de Chartres [2],
qu'elle entreprend de nous raconter comment et dans quelles
circonstances Mme de Clèves et M. de Nemours se sont rencontrés. Mme de
Lafayette a fait le portrait de M. de Nemours dans les toutes premières
pages de son roman [3], et elle nous a appris, un petit peu plus loin [4],
que la reine Elisabeth d'Angleterre s'intéressait à lui et que, pressé
par le roi, il s'était décidé à tenter sa chance auprès d'elle. Il a
donc envoyé en Angleterre, pour sonder les intentions de la reine, son
homme de confiance, un jeune gentilhomme du nom de Lignerolles, et
lui-même s'est installé à Bruxelles en attendant l'issue de sa mission.
.......Et
c'est à ce moment précis de son récit que Mme de Lafayette introduit son
héroïne et annonce qu' « il parut alors une beauté à la cour, qui
attira les yeux de tout le monde [5]»,
Mlle de Chartres. Ce n'est évidemment pas le hasard, ou plutôt c'est un
hasard voulu et soigneusement calculé par la romancière qui éloigne de
la cour M. de Nemours au moment même où Mlle de Chartres y arrive. Mme
de Lafayette voulait que les deux personnages ne se rencontrent que
lorsque Mlle de Chartres serait devenue Mme de Clèves. Elle ne fait donc
revenir M. de Nemours que quand la chose est faite. Lignerolles l'ayant
informé qu'il avait mené à bien sa mission, M. de Nemours rentre alors à
Paris pour achever de préparer son départ pour l'Angleterre [6],
en même temps que pour assister au mariage de la seconde fille de Henri
II, Claude de France, avec le duc de Lorraine. Par un nouveau hasard
toujours voulu par la romancière, il n'arrive à Paris que la veille même
des fiançailles, et le soir, de sorte qu'en se rendant le lendemain au
bal donné en l'honneur de ces fiançailles, Mme de Clèves ne saura pas
qu'elle va y rencontrer M. de Nemours [7].
.......Mais,
nous le savons, si Mme de Clèves n'a encore jamais vu M. de Nemours,
elle a beaucoup entendu parler de lui, et d'une façon telle qu'autour de
son nom, a déjà commencé dans son esprit le travail que Stendhal a si
justement appelé « cristallisation » et qui lui fait éprouver cette
« impatience » que M. de Clèves se plaignait de ne pas trouver en elle :
'Elle avait ouï parler de ce prince à tout le monde comme de ce qu'il y
avait de mieux fait et de plus agréable à la cour; et surtout Mme la
dauphine le lui avait dépeint d'une sorte et lui en avait parlé tant de
fois qu'elle lui avait donné de la curiosité et même de l'impatience de
le voir ». C'est sur ces lignes, que nous avons déjà citées dans notre
précédente étude, que se termine le paragraphe qui précède notre
passage. La romancière a donc fort bien su préparer la scène à laquelle
elle va nous faire assister : si Mme de Clèves est curieuse et même
impatiente de voir M. de Nemours, le lecteur de Mme de Lafayette est
curieux et même impatient d'assister à leur rencontre. Si Mme de Clèves
ne s'attend pas à rencontrer M. de Nemours, le lecteur lui sait qu'elle
va rencontrer, sans qu'elle le sache encore, l'homme que son cœur
attend.
................................................................*
...........................................................*.......*
.......Ce
passage comporte trois grands moments. Le premier, qui est constitué par
les deux premiers paragraphes, nous fait assister à la rencontre de Mme
de Clèves et de M. de Nemours qui, par suite d'un concours de
circonstances soigneusement réglé par la romancière (M. de Nemours
arrive quand le bal est déjà commencé; le roi ordonne à Mme de Clèves de
prendre comme cavalier celui qui vient d'arriver), vont danser ensemble
sans avoir été présentés. Cette situation très singulière permet à Mme
de Lafayette de nous faire assister ensuite, et ce sera le deuxième
moment de ce passage, à la scène de la présentation des deux personnages
qui va prendre une forme très particulière, puisqu'ils vont être
invités à reconnaître qu'ils n'ont pas besoin qu'on les présente l'un à
l'autre. Cette courte scène, où les deux héros du roman, pour ce premier
dialogue, ne se parlent que par personnes interposées, constitue
évidemment le moment le plus intéressant et le plus important du
passage, et cela à cause, principalement, du refus de Mme de Clèves
d'avouer qu'elle a reconnu M. de Nemours sans l'avoir jamais vu. Il ne
reste plus ensuite à Mme de Lafayette, et c'est le troisième moment du
passage, qu'à faire en quelque sorte le bilan de la rencontre, en nous
laissant deviner que ses deux héros sont déjà amoureux l'un de l'autre.
Elle le suggère d'une manière assez claire pour M. de Nemours, en nous
disant qu'il ne voit plus que Mme de Clèves. Elle le suggère d'une
manière apparemment plus ambiguê pour Mme de Clèves, en nous faisant
part des soupçons d'abord du chevalier de Guise, que semblent confirmer
ensuite ceux de Mme de Chartres.
.......La
première phrase nous indique très rapidement dans quelles circonstances
et dans quel cadre Mme de Clèves va rencontrer M. de Nemours : « Elle
passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver
le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre ». Ce cadre
et ces circonstances sont très différents de ceux dans lesquels M. de
Clèves avait rencontré pour la première fois Mlle de Chartres, et, bien
sûr, Mme de Lafayette a voulu qu'il en fût ainsi. M. de Clèves avait
rencontré Mlle de Chartres par hasard, en dehors de la cour [8], avant qu'elle y fût officiellement présentée, sans qu'il pût deviner qui elle était et sans que personne pût le lui dire [9].
Mme de Clèves et M. de Nemours vont se rencontrer pour la première fois
non seulement à la cour, mais encore en plein milieu d'une
manifestation particulièrement importante et brillante, et qui
rassemble, bien sûr, toute la cour : un grand bal donné pour les
fiançailles de la seconde fille du roi. S'ils ne se connaissent pas
encore, l'un et l'autre sont parfaitement en état de deviner sans peine
qui est l'autre, et, quand ils ne le pourraient pas, toutes les
personnes présentes seraient là pour le leur dire.
.......Si Mme
de Lafayette a pris soin de nous apprendre que Mme de Clèves avait passé
toute la journée à se parer, elle ne prend pas la peine de nous donner
la moindre indication précise sur le résultat de tant de préparatifs et
nous laisse toute liberté pour imaginer la toilette de son héroïne, à la
condition, bien entendu, que nous ne sortions pas du plus parfait bon
goût, que nous nous gardions bien d'affubler par la pensée Mme de Clèves
d'une défroque impossible ou d'un accoutrement extravagant, et que nous
nous abstenions surtout de lui prêter toute tenue qui pût, si peu que
ce fût, braver l'honnêteté. Elle nous dit seulement : « Lorsqu'elle
arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ». Mme de Lafayette n'est
assurément pas Balzac. Les descriptions ne l'intéressent aucunement et
elle ne donne quasi jamais d'autres indications que celles qui sont
strictement nécessaires pour comprendre ce qui se passe. On le voit bien
ici : pas plus qu'elle n'a cherché à décrire la « parure » de Mme de
Clèves, Mme de Lafayette ne cherche à décrire l'assistance ni la salle
où le bal a lieu. Elle n'a qu'une hâte, c'est que le bal commence, car
il ne faut surtout pas que M. de Nemours arrive avant qu'il ait
commencé. Et elle est fort inquiète, car elle sait que M. de Nemours est
déjà en route et elle ne peut ignorer ce que personne n'ignore, à
savoir qu'il a les meilleurs chevaux du royaume, le meilleur carrosse et
le meilleur cocher. Toute plaisanterie mise à part, il fallait
absolument que M. de Nemours, sans doute retardé par les préparatifs de
son voyage en Angleterre, n'arrivât qu'une fois que le bal fût commencé
afin qu'il pût danser avec Mme de Clèves sans lui avoir été présenté.
Car, s'il n'était pas arrivé en retard, les deux personnages auraient
nécessairement été présentés l'un à l'autre avant de danser ensemble.
.......Fort
heureusement, tout va se passer ainsi que la romancière le souhaitait :
« le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un
assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui
entrait et à qui on faisait place ». On le voit, l'arrivée de M. de
Nemours ne passe pas inaperçue (« il se fit un assez grand bruit »). On
ne saurait s'en étonner : tout le monde se retourne toujours lorsque M.
de Nemours entre dans un lieu [10] et sa réapparition après une longue absence doit provoquer beaucoup de commentaires [11].
Mais, pour qu'ils puissent danser ensemble sans avoir été présentés, il
va falloir encore que le roi s'en mêle : « Mme de Clèves acheva de
danser et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait
dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait ». Si
le roi intervient, ce n'est pas parce qu'il trouve piquant de faire
danser ensemble deux personnes qui ne se sont jamais vues [12],
mais simplement sans doute parce qu'il juge qu'ils forment un couple
particulièrement beau. Toujours est-il, et, comme par hasard, cela ne
manque pas de faire l'affaire de la romancière, qu'au lieu de désigner
M. de Nemours par son nom, il utilise une périphrase et le désigne comme
celui qui vient d'arriver. Mme de Clèves ne saura donc pas avec qui
elle danse, ou, du moins, elle ne le saura pas d'une manière officielle,
car en fait elle n'en doutera pas : « Elle se tourna et vit un homme
qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait
par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait ». Mme de Clèves
n'hésite donc pas un seul instant (« d'abord » a, bien sûr, le sens de
« aussitôt »). Elle sait tout de suite que l'homme qu'elle voit ne peut
être que M. de Nemours, non seulement parce qu'il ne ressemble à aucun
des hommes qu'elle a déjà vus, mais parce qu'il ressemble à ne pas
pouvoir s'y tromper à un homme qu'elle n'a jamais vu, mais dont, tout au
fond d'elle-même, elle savait à l'avance que, dès qu'elle le verrait,
elle saurait qui il est.
.......Et elle
savait qu'elle le reconnaîtrait d'abord et surtout à la surprise qu'il
lui donnerait, et c'est effectivement le sentiment qu'elle éprouve dès
qu'elle l'aperçoit : « Ce prince était fait d'une sorte qu'il était
difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais
vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer
augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ». Elle le
reconnaît non seulement parce qu'il répond à l'image très séduisante
qu'elle s'était faite de lui, mais aussi et plus encore parce que cette
image lui semble soudain inadéquate, le duc de Nemours réel lui
paraissant encore plus séduisant que celui dont elle avait rêvé. Et cela
aussi, elle l'avait rêvé. Elle est d'autant plus surprise que M. de
Nemours, qui réapparaît à la cour après une assez longue absence et à
l'occasion d'une fête particulièrement brillante, a pris, comme elle l'a
fait elle-même, grand soin de se parer, même si, on veut du moins
l'espérer, il n'a sans doute pas dû y passer, lui, toute sa journée. Et
Mme de Lafayette ne manque pas de souligner l'espèce de complémentarité
que crée entre ses deux personnages le fait qu'ils sont l'un et l'autre
les deux êtres les plus beaux et les plus fascinants que l'on ait jamais
vus à la cour : « mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves
pour la première fois sans avoir un grand étonnement [13]».
.......Rien
d'étonnant donc si M. de Nemours est aussi frappé par la vue de Mme de
Clèves qu'elle-même l'avait été par la sienne : « M. de Nemours fut
tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et
qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques
de son admiration ». Mme de Clèves a vu M. de Nemours un tout petit peu
avant qu'il ne la voie lui-même, puisque, quand elle l'a aperçu, il
était occupé à passer par-dessus les sièges, avec cette souveraine
élégance que lui seul est capable de mettre dans un geste qui chez tout
autre pourrait paraître trivial; et, avec quelque désinvolture étudiée
qu'il pût accomplir cette action, il était bien obligé de regarder juste
devant lui, s'il voulait éviter de s'aplatir par terre sous les yeux de
toute la cour dans un grand bruit de sièges renversés, ce que la
romancière ne lui aurait jamais pardonné. Mme de Lafayette a sans doute
voulu ainsi donner quelques secondes à son héroïne pour se remettre un
peu d'une surprise que, sans en avoir vraiment conscience, elle craint
certainement de laisser paraître si peu que ce soit. En revanche, M. de
Nemours n'a découvert, lui, Mme de Clèves que lorsqu'il est arrivé
devant elle et qu'elle lui a fait la révérence pour l'inviter à danser,
et sa surprise n'en a été que plus grande [14].
Mais, à la différence de Mme de Clèves, M. de Nemours ne cherche
aucunement à la dissimuler. Mme de Lafayette n'ayant pas cru bon de nous
dire de quelle manière il avait su exprimer son admiration, il est
difficile de le savoir de façon précise. Tout ce que l'on peut assurer,
c'est qu'il l'a fait d'une manière suffisamment expressive, voire
quelque peu appuyée (comme le suggère le pluriel « des marques »), sans
pour autant abandonner si peu que ce soit les bonnes manières. On peut
donc exclure toute manifestation empreinte de vulgarité telle que
sifflement, claquement de langues, juron ou commentaire plus ou moins
trivial comme « Tudieu ! quel beau tendron ! » ou « Grands dieux !
vit-on jamais dondon plus délectable ! », manifestations qu'au demeurant
M. de Nemours savait fort bien que la romancière n'eût jamais tolérées.
.......M. de
Nemours n'aurait sans doute pas manqué de se présenter à Mme de Clèves,
ou plutôt de demander à quelqu'un autour de lui de bien vouloir le
présenter, si, le bal reprenant, et l'on devine qu'une fois de plus tout
se déroule exactement comme le souhaitait la romancière, il n'avait dû
alors faire danser sa cavalière, sous les regards admirateurs de
l'assistance : « Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la
salle un murmure de louanges ». Mme de Clèves et M de Nemours sont l'un
et l'autre les deux êtres les plus beaux de toute la cour, et l'un et
l'autre semblent être ce soir-là encore plus brillants, si faire se
peut, qu'ils ne l'ont jamais été. Rien d'étonnant, par conséquent, s'ils
deviennent le point de mire de tous les regards et l'objet de
l'admiration générale. Mais, comme celle de M. de Nemours pour Mme de
Clèves, cette admiration va s'exprimer, et le « murmure de louanges »
qui s'éleve alors autour d'eux, leur fait connaître que toute la cour
considère qu'ils forment un couple exceptionnel. A la suite du roi qui
leur a ordonné de danser ensemble, c'est toute la cour qui semble ainsi
se plaire à les accoupler.
.......Mais
ces deux êtres qui semblent si bien faits l'un pour l'autre, ces deux
êtres, que non seulement toute la cour connaît, mais qui en sont l'un et
l'autre, pour la beauté, les deux figures les plus en vue, ces deux
êtres qui dansent ensemble, ces deux êtres ne se connaissent point.
C'est certainement la première fois qu'une telle situation se produit
et, bien sûr, la chose ne va pas passer inaperçue : « Le roi et les
reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent
quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se
connaître ». On le voit, le roi et les reines n'ont pas réalisé
immédiatement que Mme de Clèves et M. de Nemours ne s'étaient jamais vus
(« se souvinrent »). S'ils y avaient pensé tout de suite, les choses se
seraient sans doute passées autrement, et le roi, au lieu de dire à Mme
de Clèves de danser avec « celui qui arrivait », aurait probablement
voulu présenter lui-même M. de Nemours à Mme de Clèves. Mais, dès qu'ils
en auront pris conscience, le roi et les reines ne vont pas manquer de
deviner que Mme de Clèves et M. de Nemours se sont reconnus, bien qu'ils
n'aient pas été présentés l'un à l'autre, et ils vont vouloir s'en
assurer : « Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le
loisir de parler à personne et leur demandèrent s'ils n'avaient pas
bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient pas ».
Grâce à la curiosité du roi et des reines, les choses vont pouvoir se
passer exactement comme le souhaitait la romancière. Il n'aurait servi à
rien, en effet, que M. de Nemours n'arrivât qu'alors que le bal était
déjà commencé, que le roi donnât à Mme de Clèves l'ordre de danser avec
« celui qui arrivait », si, après avoir fini de danser avec elle, M. de
Nemours avait pu se présenter lui-même à Mme de Clèves ou plutôt
demander à quelqu'un de bien vouloir le présenter. Heureusement, le roi
et les reines qui tiennent à mener à bien leur petite expérience, vont
les faire venir sans leur laisser le temps de se parler ou de parler à
qui que ce soit, afin de pouvoir vérifier qu'ils se sont bien reconnus
alors qu'ils ne s'étaient jamais vus.
.......La
petite scène qui va suivre constitue à l'évidence l'élément essentiel,
le cœur de tout le passage. Aussi Mme de Lafayette qui a utilisé
jusque-là le style indirect pour les propos du roi et des reines, va
maintenant utiliser le style direct pour nous faire entendre les propos
de M. de Nemours, de la reine dauphine et de Mme de Clèves [15].
Invité à reconnaître qu'il a bien su deviner que sa cavalière était Mme
de Clèves, M. de Nemours va le faire bien volontiers : « Pour moi,
madame, dit M. de Nemours, je n'ai pas d'incertitude; mais comme Mme de
Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que
j'ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la
bonté de lui apprendre mon nom ». C'est à la reine dauphine que
s'adresse M. de Nemours. Certes, puisqu'il se trouve devant « les
reines », ce pourrait être aussi à Catherine de Médicis, ou peut-être à
la reine de Navarre. Mais c'est la reine dauphine qui va lui répondre,
et c'est sans doute elle, par conséquent, qui a demandé aux deux
danseurs s'ils n'avaient pas deviné qui ils étaient. C'est sans doute
elle, d'ailleurs, qui a eu l'idée d'organiser ce petit test, et
l'intérêt qu'elle porte à M. de Nemours n'est probablement pas étranger à
cette idée.
.......Quoi
qu'il en soit, M. de Nemours répond en parfait homme du monde. Il prouve
qu'il a bien reconnu Mme de Clèves en la nommant, mais il le fait d'une
manière élégante et subtile. Il eût été tout à fait rustre de
répondre : « Pour sûr je sais qui c'est : c'est Mme de Clèves ». Mais
les personnages de La Princesse de Clèves ne sont assurément pas
des rustres et M. de Nemours encore moins qu'un autre. Avec tact et
discrétion, il va dissocier son cas de celui de Mme de Clèves. Il répond
donc que, lui, il a deviné et qu'il est sûr d'avoir deviné juste (« je
n'ai pas d'incertitude »), mais, et cela lui permet de glisser son nom,
et de prouver ainsi sans avoir l'air d'y toucher ce qu'il vient
d'affirmer, il ajoute que Mme de Clèves, elle, n'a sans doute pas deviné
qui il était. En parlant des « raisons » qu'il a de reconnaître Mme de
Clèves, M. de Nemours fait, bien sûr, allusion à son exceptionnelle
beauté à laquelle il rend ainsi hommage. Mais la formule est
suffisamment vague pour que Mme de Clèves ne puisse s'en offenser [16],
en même temps que la discrétion même du compliment le rend encore plus
flatteur : M. de Nemours suggère ainsi que la beauté de Mme de Clèves
est si évidente et si reconnue qu'il n'a assurément pas besoin de
s'expliquer davantage. Cela lui permet en même temps, avec une modestie
peut-être fausse, mais assurément de bon ton, de suggérer que lui-même
ne peut prétendre être reconnu aussi facilement, et donc de demander à
la reine dauphine de bien vouloir le présenter à celle qui a été sa
cavalière. Peut-être a-t-il déjà remarqué que celle-ci, comme Mme de
Lafayette va nous l'apprendre deux lignes plus loin, « paraissait un peu
embarrassée », et veut-il ainsi lui éviter d'avoir à répondre à la
reine dauphine.
.......Peut-être
la reine dauphine l'a-t-elle remarqué, elle aussi, mais sa réponse
montre qu'elle ne songe guère à la ménager : « Je crois, dit Mme la
dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous ». La reine dauphine dit
« je crois », mais on devine qu'il s'agit d'une litote. N'en doutons
pas, elle en est tout à fait sûre, et d'ailleurs on en aura la preuve
avec sa prochaine réplique. L'intérêt qu'elle porte à M. de Nemours la
rend sans doute particulièrement lucide, sans compter qu'elle est mieux
placée que personne pour savoir que Mme de Clèves a beaucoup entendu
parler de M. de Nemours et qu'elle en a entendu parler d'une façon bien
propre à susciter sa curiosité, puisque, nous le savons, c'est elle
surtout qui lui en a parlé. Et peut-être a-t-elle eu, de plus,
l'occasion de remarquer, en lui parlant de M. de Nemours, que ce sujet
ne semblait pas laisser Mme de Clèves totalement indifférente. En disant
à M. de Nemours que Mme de Clèves sait aussi bien son nom que lui sait
le sien, la reine dauphine souligne ainsi l'espèce de complicité que le
hasard semble avoir voulu créer entre ces deux êtres. Après le roi qui
les a tout de suite invités à danser ensemble, après l'assistance qui a
salué par « un murmure de louanges » le couple qu'ils formaient, la
reine dauphine, sans le vouloir sans doute, donne elle aussi
l'impression de penser que Mme de Clèves et M. de Nemours semblent faits
l'un pour l'autre.
.......« Je
vous assure, madame, reprit Mme de Clèves qui paraissait un peu
embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez ». M. de
Clèves, nous l'avons vu, se désolait parce que sa présence ne donnait à
sa future femme « ni de plaisir ni de trouble ». Mme de Clèves ne
connaît M. de Nemours que depuis quelques minutes, et Mme de Lafayette
ne nous dit pas, mais on peut aisément deviner que c'est bien le cas, si
la présence de M. de Nemours a déjà donné à Mme de Clèves un peu de ce
plaisir que ne lui a jamais donné celle de M. de Clèves. Elle nous
apprend, en revanche, en notant ce léger embarras que Mme de Clèves ne
peut s'empêcher de laisser paraître, que M. de Nemours lui donne déjà un
peu de ce trouble que sa présence ne cessera de lui donner par la
suite, et de plus en plus. L'embarras que semble faire naître ou
augmenter la réplique de la dauphine, et qui pourrait n'être interprété
que comme une simple marque de réserve ou de timidité, est le signe
extérieur de quelque chose de plus profond. La réponse de Mme de Clèves
constitue évidemment un mensonge puisqu'elle a reconnu immédiatement et
sans la moindre hésitation M. de Nemours, et c'est le premier mensonge
caractérisé de Mme de Cléves [17],
mensonge qui sera suivi de beaucoup d'autres. Mais elle se garde bien
de dire qu'elle n'a aucune idée de l'identité de celui avec qui elle a
dansé, car, outre qu'elle n'aurait aucune chance d'être crue, ce serait
quelque peu discourtois.
.......La
reine dauphine ne va pas croire Mme de Clèves un seul instant : « Vous
devinez fort bien, répondit Mme la dauphine ». On le voit, cette
fois-ci, car sans doute a-t-elle été quelque peu agacée de voir que Mme
de Clèves avait voulu lui en faire accroire, elle n'a plus recours à la
litote. Mais elle ne se contente pas de rejeter sans appel la dénégation
de Mme de Clèves; elle va aussi la commenter et l'expliquer d'une
manière aussi discrète que pénétrante, et qui est sans doute encore plus
pénétrante qu'elle ne le pense elle-même : « et il y a même quelque
chose d'obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le
connaissez sans l'avoir jamais vu ». Si le dialogue central est
assurément, comme le note M. Jean Rousset, « le point fort de la scène [18]»,
cette réflexion de la reine dauphine, réflexion qui lui permet, en
passant et comme sans y toucher, de faire ce que M. de Nemours lui avait
demandé de faire, c'est-à-dire le nommer à Mme de Clèves, en glissant
son nom aussi discrètement et aussi habilement que lui-même avait glissé
celui de Mme de Clèves, cette réflexion est elle-même le point fort de
ce dialogue. Elle a quelque chose de paradoxal, et la reine dauphine
souligne elle-même discrètement ce caractère paradoxal en disant que le
refus de Mme de Clèves d'avouer qu'elle l'a reconnu « a même
quelque chose d'obligeant pour M. de Nemours ». La reine dauphine a
recours à un raccourci d'expression. Elle veut dire que non seulement le
refus de Mme de Clèves n'a rien de désobligeant pour M. de Nemours,
mais qu'il a même quelque chose d'obligeant. A première vue, en effet,
le refus de Mme de Clèves pourrait plutôt être considéré comme quelque
peu désobligeant. Ce qui aurait été vraiment obligeant, semble-t-il,
c'est, au contraire, de répondre à sa politesse et de reconnaître sans
difficulté qu'elle avait deviné qui il était, comme lui-même avait
reconnu qu'il avait deviné qui elle était.
.......Si la
reine dauphine dit que le refus de Mme de Clèves d'avouer qu'elle l'a
reconnu a quelque chose d'obligeant pour lui, c'est parce qu'elle devine
que la vue de M. de Nemours a fait une certaine impression sur Mme de
Clèves et que c'est pour cette raison qu'elle n'a pas voulu avouer
qu'elle l'avait reconnu. Car, en soi, le fait que Mme de Clèves ait
reconnu M. de Nemours bien qu'elle ne l'eût jamais vu, n'a rien que de
très normal et de très naturel. Elle connaît maintenant tous les hommes
de la cour sauf M. de Nemours. Quoi d'étonnant donc que, devant un homme
qu'elle n'a encore jamais vu et dont l'apparence correspond aux
descriptions qu'on lui a faites de M. de Nemours, elle se dise qu'il
doit s'agir de lui ? Il n'y aurait donc rien de compromettant pour elle à
avouer qu'elle a reconnu M. de Nemours. Mais, si Mme de Clèves ne veut
pas, n'ose pas l'avouer, c'est que cette reconnaissance n'a pas été une
simple et froide déduction logique; c'est qu'elle n'a pas reconnu M. de
Nemours seulement avec son intelligence, mais aussi avec son cœur.
.......Nul
doute que la remarque de la reine dauphine n'augmente encore l'embarras
de Mme de Clèves, même si, bien moins encore que la reine dauphine ne le
fait elle-même, elle ne peut en apprécier l'exacte portée. Et, si
peut-être l'auteur de cette remarque, la reine dauphine l'aura vite
oubliée, il y a tout lieu de penser que Mme de Clèves, elle, ne
l'oubliera pas. Cette remarque va rester dans son esprit, et, en même
temps que, d'une manière très lente et très progressive, la passion que,
dès le premier regard, lui a inspirée M. de Nemours, va remonter des
zones obscures aux zones claires de la conscience, Mme de Clèves va peu à
peu pouvoir mieux mesurer la profonde justesse de la remarque de la
reine dauphine. Et c'est seulement le jour où elle prendra clairement et
complètement conscience de la passion qu'elle nourrit pour M. de
Nemours, qu'elle comprendra que cette remarque allait encore plus loin
que ne le pensait celle qui l'avait faite. Mais, si cette remarque ne
prendra vraiment tout son sens, pour Mme de Clèves, que le jour où elle
aura vraiment compris qu'elle aime M. de Nemours, elle n'en aura pas
moins, en même temps, joué un rôle dans le lent travail qui l'aura
amenée à le comprendre. Ainsi, par cette remarque, la reine dauphine
aura sans le savoir déposé dans l'esprit de Mme de Clèves un premier
germe, un premier ferment, et il jouera un rôle, si faible qu'il puisse
être, dans le long processus de maturation qui aboutira à la prise de
conscience de sa passion.
.......Inconsciemment,
car elle-même ne connaît pas encore le sentiment naissant qu'elle
cherche déjà à cacher, Mme de Clèves a eu peur de se trahir en avouant
qu'elle avait reconnu M. de Nemours. Mais c'est précisément en refusant
de l'avouer qu'elle se trahit, même si, pour l'instant, ni elle-même, ni
M. de Nemours, ni même la reine dauphine qui se montre ici la plus
perspicace, ne peuvent encore s'en rendre compte. Plus tard, nous le
verrons, lorsque Mme de Clèves se sera rendu compte qu'il lui est
impossible de vaincre sa passion, elle prendra la ferme résolution de
n'en donner, du moins, aucune marque. Mais le lecteur saura tout de
suite qu'elle ne pourra pas la tenir. Il n'aura pas oublié, en effet,
qu'elle en a déjà laissé échapper de nombreux signes, même si souvent
personne ne les a vus, et cela dès les tout premiers instants, en
refusant d'avouer qu'elle avait reconnu M. de Nemours.
.......Ce
n'est pas un hasard si la première marque que Mme de Clèves donne de son
amour pour M. de Nemours est un refus. Ce refus sera suivi de beaucoup
d'autres jusqu'au refus final par lequel Mme de Clèves mettra un terme à
ses relations avec M. de Nemours, lorsqu'elle lui annoncera qu'elle a
résolu de ne pas l'épouser. A quelques rares exceptions près [19],
les signes de sa passion que Mme de Clèves laissera voir à M. de
Nemours, seront tous des signes négatifs. Si Mme de Clèves ne peut
s'empêcher de lui laisser voir sa passion, c'est presque toujours parce
qu'elle ne peut s'empêcher de lui laisser voir qu'elle a peur de la lui
laisser voir. Ici, sans doute, il est encore beaucoup trop tôt pour que
M. de Nemours, au demeurant trop impressionné par la beauté de Mme de
Clèves qu'il découvre pour la première fois, puisse s'interroger déjà
(mais cela ne saurait tarder) sur l'impression qu'il a pu lui faire
lui-même. Mais il est probable que, plus tard, lorsqu'il aura acquis la
certitude d'être aimé de Mme de Clèves et qu'il se rappellera qu'elle
avait nié l'avoir reconnu, il comprendra qu'elle lui avait ainsi, sans
le savoir elle-même, donné la première preuve de son amour.
.......Sans
que ni elle-même ni M. de Nemours ne puissent pour l'instant le
comprendre, ce premier refus est donc la première de ces « rigueurs »
qu'elle ne cessera de témoigner à M. de Nemours, et que M. de Clèves lui
reprochera, lorsqu'il comprendra que ces « rigueurs », parce qu'elles
trahissent son amour en trahissant sa peur de le trahir, deviennent
autant de « faveurs » que, sans qu'elle le veuille, elle accorde à M. de
Nemours [20].
Mais, tout en les lui reprochant, M. de Clèves ne pourra s'empêcher de
rendre hommage à la vertu de sa femme. Si une telle situation a pu
s'instaurer, c'est, en effet, parce que sa femme n'est pas une femme
comme les autres, et que sa réaction instinctive, au lieu de
s'abandonner à ses sentiments, est de tout faire pour les réprimer, ou, à
tout le moins, pour les dissimuler. Le refus d'avouer qu'elle a reconnu
M. de Nemours est la première manifestation d'une attitude qui ne se
démentira jamais. A la place de Mme de Clèves, une autre femme, au lieu
de refuser d'avouer qu'elle avait reconnu M. de Nemours, aurait été trop
heureuse, non seulement de lui rendre sa politesse et de lui retourner
son compliment, mais encore de s'interroger devant lui sur les raisons
qui avaient pu pousser le destin à les faire se rencontrer d'une manière
si singulière et leur donner l'occasion de se reconnaître immédiatement
alors qu'ils ne s'étaient jamais vus. Pour pasticher ce que dira M. de
Clèves, lorsqu'il aura réussi à savoir, en tendant un piège à sa femme,
que c'était bien de M. de Nemours qu'il avait lieu d'être jaloux [21],
c'est par son refus d'avouer qu'elle a reconnu M. de Nemours que Mme de
Clèves nous apprend ce qu'une autre femme nous aurait appris par
l'empressement qu'elle aurait mis à l'avouer.
.......Si sa
remarque va sans doute beaucoup plus loin qu'elle-même ne le pense, la
reine dauphine, redisons-le, n'en a pas moins fait preuve d'une
indéniable perspicacité, et c'est, bien sûr, l'intérêt qu'elle porte
elle-même à M. de Nemours qui explique en grande partie cette
perspicacité. On sera donc un peu surpris de constater dans les pages
suivantes que cette perspicacité n'aura pour ainsi dire pas de suite [22]
et que la reine dauphine ne devinera jamais la passion de Mme de
Clèves, alors pourtant qu'elles sont fort intimes. A chaque fois que Mme
de Clèves ne pourra pas s'empêcher de laisser échapper des signes de sa
passion en présence de la reine dauphine, le hasard fera que celle-ci
regardera ailleurs ou, pensant à autre chose, n'y fera pas attention [23].
Et, derrière ce hasard, une fois de plus, il y a, bien sûr, la
romancière. Ici elle avait besoin que la reine dauphine se montrât
perspicace pour nous faire deviner grâce à elle ce qui se passe dans
l'âme de son héroïne et que celle-ci ignore. Mais, en même temps, elle
tient à ce que personne, à l'exception de M. de Nemours lui-même et du
chevalier de Guise qui gardera le secret, ne puisse deviner la passion
de Mme de Clèves.
.......Si Mme
de Lafayette s'est servie de la reine dauphine pour jeter un rapide coup
de projecteur dans l'âme de Mme de Clèves, elle a estimé qu'elle en
avait assez fait pour cette première rencontre entre ses deux héros et
qu'il lui fallait faire cesser l'embarras dans lequel elle venait de
mettre son héroïne. Elle intervient pour lui éviter de ne savoir trop
quoi répondre à la reine dauphine et d'abord de ne pas savoir s'il faut
ou non lui répondre [24],
et met fin à la conversation, en faisant appel à la reine pour faire
reprendre le bal, lequel se révèle décidément particulièrement propre à
servir les desseins de la romancière : « La reine les interrompit pour
faire continuer le bal ». Le bal va donc reprendre, mais on sent que,
pour la romancière, ce bal, qui n'avait d'autre raison d'être que de
permettre à Mme de Clèves et à M. de Nemours de se rencontrer dans les
conditions qu'elle souhaitait, est déjà fini. Il ne lui reste plus qu'à
conclure la scène, c'est-à-dire, comme c'est presque toujours le cas, à
faire le point sur les sentiments de ses personnages, ici Mme de Clèves
et M. de Nemours.
.......Elle va
commencer par M. de Nemours parce que son cas est plus simple : « M. de
Nemours prit la reine dauphine. Cette princesse était d'une parfaite
beauté et avait paru telle aux yeux de M. de Nemours avant qu'il allât
en Flandre; mais, de tout le soir, il ne put admirer que Mme de
Clèves ». Mme de Lafayette ne nous le dit pas directement, mais on
devine non seulement que M. de Nemours est déjà amoureux, mais qu'il
l'est comme il ne l'a encore jamais été. Car, si ce n'est assurément pas
la première fois qu'il s'intéresse à une femme, c'est la première fois,
semble-t-il, qu'une femme réussit à lui faire oublier toutes les autres
pour ne plus penser qu'à elle [25].
La reine dauphine, dont il admirait jusque-là la beauté, semble ne plus
exister à ses yeux, non plus qu'aucune autre des femmes qui sont là.
Même si nous ne pourrons vraiment le comprendre que plus tard, cette
profonde transformation de M. de Nemours, pour ne pas dire cette
métamorphose, dont Mme de Lafayette va nous faire part plus loin [26]
et qui va étonner ses amis et tous ceux qui le connaissent, est pour
ainsi dire déjà accomplie. Le séducteur quelque peu frivole, l'homme à
bonnes fortunes, pour ne pas dire le don juan, qu'a été jusque-là M. de
Nemours, ne sont plus. Dès l'instant où il a vu Mme de Clèves, M. de
Nemours est devenu l'homme d'une passion aussi profonde qu'exclusive.
.......Les
deux paragraphes suivants sont destinés à nous éclairer sur les
sentiments de Mme de Clèves. Mais, au lieu de nous éclairer elle-même,
comme elle vient de le faire pour M. de Nemours, Mme de Lafayette va le
faire d'une manière indirecte, en nous rapportant les impressions
convergentes d'abord du chevalier de Guise et ensuite de Mme de
Chartres. En ayant recours à cet éclairage indirect, la romancière veut
suggérer qu'à la différence de M. de Nemours, Mme de Clèves n'a pas
conscience des sentiments qui viennent de s'éveiller en elle. Si M. de
Nemours est tout à fait conscient d'avoir été fasciné par la beauté de
Mme de Clèves et ne cherche aucunement à se le cacher à lui-même, il en
va tout autrement de Mme de Clèves. Mais d'autres peuvent déjà deviner
ce qu'elle-même ne devine pas encore. Le premier à le faire va être le
chevalier de Guise : « Le chevalier de Guise, qui l'adorait toujours,
était à ses pieds, et ce qui venait de se passer lui avait donné une
douleur sensible. Il le prit comme un présage que la fortune destinait
M. de Nemours à être amoureux de Mme de Clèves; et soit qu'en effet il
eût paru quelque trouble sur son visage, ou que la jalousie fît voir au
chevalier de Guise au-delà de la vérité, il crut qu'elle avait été
touchée de la vue de ce prince, et il ne put s'empêcher de lui dire que
M. de Nemours était bien heureux de commencer à être connu d'elle par
une aventure qui avait quelque chose de galant et d'extraordinaire ».
.......Après
avoir évoqué ce que M. de Nemours avait ressenti pendant le reste de la
soirée (« de tout le soir »), Mme de Lafayette fait maintenant un petit
retour en arrière pour nous ramener au moment où la reine a fait
reprendre le bal. Il semble qu'alors que M. de Nemours s'est aussitôt
remis à danser, Mme de Clèves, elle, ne l'ait pas fait tout de suite.
Sans doute s'est-elle assise, et probablement sur une espèce d'estrade
qui borde la piste de danse (puisque le chevalier de Guise se trouve « à
ses pieds »). Quoi qu'il en soit, le chevalier de Guise, qui a assisté
au petit dialogue qui vient d'avoir lieu entre la reine dauphine, M. de
Nemours et Mme de Clèves, a été très attentif à « ce qui venait de se
passer ». Il soupçonne tout de suite que M. de Nemours va être amoureux
de Mme de Clèves. Il l'aurait sans doute fait, quand bien même les
circonstances dans lesquelles M. de Nemours l'a rencontrée, ne lui
auraient pas paru suggérer que la fortune le destinait à être amoureux
de Mme Clèves. M. de Nemours devenant régulièrement amoureux de toutes
les plus belles personnes de la cour, il était, somme toute, tout à fait
logique de prévoir qu'il n'allait pas manquer de tomber amoureux de
celle que tout le monde s'accordait à reconnaître comme étant la plus
belle de toutes [27].
.......Mais,
bien sûr, c'est à ce qui se passait dans l'âme de Mme de Clèves que le
chevalier de Guise s'est surtout intéressé, et il lui a semblé que M. de
Nemours ne l'avait pas laissée indifférente. Là où les autres n'avaient
vu qu'un peu d'embarras, le chevalier de Guise a cru voir, lui, un peu
de « trouble ». Mme de Lafayette feint de lui laisser la responsabilité
de cette conclusion et de ne pas pouvoir la confirmer ou l'infirmer, car
le chevalier de Guise est amoureux de Mme de Clèves, et, si la jalousie
peut parfois permettre de voir ce que les autres ne voient pas, elle
peut aussi faire voir ce qui n'est pas. Mais, qu'elle permette de mieux
voir ou qu'elle fasse voir ce qui n'est pas, il est généralement bien
difficile à la jalousie de ne pas se laisser voir. Aussi le chevalier de
Guise ne va-t-il pas pouvoir s'empêcher de dire à Mme de Clèves qu'il
envie la chance qu'a eue M. de Nemours de faire sa connaissance dans des
circonstances si singulières. Ce faisant, comme l'a déjà fait le roi en
invitant Mme de Clèves à danser avec celui qui arrivait, comme l'a déjà
fait l'assistance en saluant par « un murmure de louanges » le couple
qui commençait à danser, et plus encore comme l'a déjà fait la reine
dauphine par les propos qu'elle a tenus, le chevalier de Guise ne peut
s'empêcher aussi d'attirer encore un peu plus l'attention de Mme de
Clèves sur le fait que M. de Nemours et elle semblent être vraiment
destinés l'un à l'autre.
.......Mais,
si Mme de Lafayette a semblé ne pas vouloir prendre à son compte le
diagnostic du chevalier de Guise, elle va s'employer aussitôt après à
nous convaincre qu'il a bien vu juste, d'abord par ce qu'elle nous dit
du comportement de son héroïne, ensuite et surtout, en faisant partager
les soupçons du chevalier de Guise à Mme de Chartres, dont le jugement
ne peut être, comme celui du chevalier, faussé par la jalousie : « Mme
de Clèves revint chez elle, l'esprit si rempli de tout ce qui s'était
passé au bal, que, quoiqu'il fût tard, elle alla dans la chambre de sa
mère pour lui en rendre compte; et elle lui loua M. de Nemours avec un
certain air qui donna à Mme de Chartres la même pensée qu'avait eue le
chevalier de Guise ». Le comportement de Mme de Clèves ne laisse pas
d'être un peu surprenant. Bien qu'il soit tard, au lieu d'aller se
coucher tout de suite, elle éprouve le besoin d'aller chez sa mère [28],
au risque de la réveiller en plein sommeil, pour lui rendre compte de
son bal. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela pouvait attendre
le lendemain. Cette impatience ne laisse pas d'être suspecte. De plus,
on devine aisément que le compte rendu du bal que Mme de Clèves a fait à
sa mère, a consisté essentiellement à parler de sa rencontre avec M. de
Nemours et à « louer » celui-ci. Mme de Clèves a l'esprit « rempli de
tout ce qui s'était passé au bal », mais tout ce qui s'est passé au bal
se réduit pour elle à sa rencontre avec M. de Nemours qui lui a fait
oublier tout le reste. Si, « de tout le soir », M. de Nemours « ne put
admirer que Mme de Clèves », il est clair que celle-ci, de son côté, n'a
pu penser qu'à M. de Nemours.
.......Mais,
si le besoin qu'a éprouvé Mme de Clèves de s'épancher auprès de sa mère
et de lui faire un chaud éloge de M. de Nemours au beau milieu de la
nuit, prouve assurément qu'elle est déjà amoureuse de lui [29],
il prouve aussi qu'elle-même en est encore profondément inconsciente.
Dans le cas contraire, elle ne serait pas allée parler à sa mère ou, du
moins, elle se serait montrée beaucoup plus réservée dans sa façon de
faire l'éloge de M. de Nemours. Pour s'en convaincre, il n'est que de
comparer son comportement ici avec celui qu'elle aura quelques jours
plus tard, quand elle se sera rendu compte que M. de Nemours est
amoureux d'elle : « Elle ne se trouva pas la même disposition à dire à
sa mère ce qu'elle pensait des sentiments de ce prince qu'elle avait eue
à lui parler de ses autres amants; sans avoir un dessein formé de lui
cacher, elle ne lui en parla point [30]».
On voit ici que, si Mme de Clèves n'a toujours pas une véritable
conscience des sentiments qu'elle nourrit pour M. de Nemours, elle en a
néanmoins une sorte de conscience indirecte, une sorte de préconscience,
puisque, sans s'en rendre vraiment compte, elle se tient sur ses
gardes, et l'on devine qu'elle ne va pas pouvoir continuer à se cacher
encore longtemps à elle-même ce qu'elle cherche déjà à cacher aux
autres. Mais, si Mme de Clèves n'était pas encore secrètement sur ses
gardes, lorsque, après le bal, elle est allée parler à sa mère, on peut
penser pourtant que le récit de sa rencontre avec M. de Nemours n'a pas
dû être tout à fait complet. « Sans avoir un dessein formé de [le] lui
cacher », pour parler comme Mme de Lafayette, elle s'est très
probablement abstenue de dire à sa mère qu'elle avait tout de suite
reconnu M. de Nemours, et a certainement omis de lui rapporter le petit
dialogue qu'elle avait eu avec la reine dauphine.
.......Quoi
qu'il en soit, Mme de Chartres n'en a pas moins deviné, comme le
chevalier de Guise, que la vue de M. de Nemours n'avait pas laissé sa
fille indifférente. Ne nous étonnons pas de la perspicacité de Mme de
Chartres qui, sans parler, bien sûr, de l'intéréssé, sera la seule
personne, avec le chevalier de Guise, à s'apercevoir de la passion que
nourrit sa fille. Outre que Mme de Chartres connaît sa fille mieux que
personne, la grande méfiance que lui inspire la passion, la conviction
où elle est que les aventures extraconjugales ne peuvent apporter à une
femme que le malheur [31], expliquent qu'elle ait su découvrir une chose qu'elle redoutait plus que tout [32].
................................................................*
...........................................................*.......*
.......Cette
scène, qui nous fait assister à la première rencontre de Mme de Clèves
et de M. de Nemours, est bien évidemment une scène tout à fait capitale.
Les deux personnages ne savaient pas qu'ils allaient se rencontrer ce
jour-là [33],
mais Mme de Lafayette le savait pour eux, et elle a soigneusement
préparé l'événement. Elle a voulu qu'à l'opposé de la première rencontre
de Mlle de Chartres et de M. de Clèves, la première rencontre de Mme de
Clèves et de M. de Nemours apparût pleinement comme une rencontre,
c'est-à-dire comme la rencontre de deux êtres qui étaient faits pour se
rencontrer. La première rencontre de Mlle de Chartres et de M. de Clèves
n'avait pas été une véritable rencontre : les deux personnages
s'étaient croisés plutôt qu'ils ne s'étaient rencontrés. Ils ne
s'étaient pas parlé et ni l'un ni l'autre n'avait su qui était l'autre.
Si M. de Clèves avait tout de suite été fasciné par Mlle de Chartres,
celle-ci ne s'était pas intéressée à lui, et ne l'avait pas vraiment
vu : elle avait seulement vu qu'il la regardait. Et elle l'avait vu non
seulement sans plaisir, mais avec une certaine impatience; aussi
était-elle sortie assez vite [34].
.......A
l'opposé de la première rencontre de Mlle de Chartres et de M. de
Clèves, qui fut, somme toute, une rencontre tout à fait banale, Mme de
Lafayette a tout fait pour donner à la première rencontre de Mme de
Clèves et de M. de Nemours un caractère tout à fait exceptionnel. Ce
caractère tient d'abord au cadre et aux circonstances dans lesquels ils
se rencontrent : un grand bal donné au Louvre pour les fiançailles d'une
princesse royale. Mais il tient surtout à la situation particulièrement
insolite dans laquelle se trouvent les deux personnages. Ils sont les
seuls à ne pas se connaître dans une assemblée où tout le monde se
connaît et où tout le monde les connaît, et dont ils sont l'un et
l'autre les deux personnes les plus remarquables par leur beauté qui
surpasse celle de tous les autres. Qui plus est, M. de Nemours n'étant
arrivé qu'alors que le bal avait déjà commencé et le roi ayant dit à Mme
de Clèves de danser avec « celui qui arrivait », ils vont se trouver en
train de danser ensemble, sans avoir été présentés l'un à l'autre. Et,
bien sûr, un fait si exceptionnel ne saurait passer inaperçu. Le roi et
les reines, et sans doute beaucoup d'autres avec eux, ne manquent pas de
le remarquer et de deviner qu'ils se sont reconnus sans s'être jamais
vus. Ils vont vouloir le vérifier et, pour ce faire, les soumettre à un
petit interrogatoire qui a pour premier effet d'attirer leur attention,
et celle de l'assistance, sur le caractère si singulier de ce qui leur
est arrivé. Et la réflexion que le chevalier de Guise ne va pas pouvoir
s'empêcher de faire à Mme de Clèves et à laquelle, n'en doutons pas,
celle-ci ne pourra s'empêcher de repenser les jours suivants,
contribuera à renforcer encore le sentiment confus qui s'est insinué en
elle d'avoir rencontré en M. de Nemours l'homme qui était fait pour elle
et pour lequel elle était faite.
.......Mais la
situation singulière dans laquelle Mme de Lafayette a placé ses deux
personnages, ne sert pas seulement à attirer l'attention de tous, et
d'abord la leur, sur le fait qu'ils semblent être faits l'un pour
l'autre. Elle va aussi et surtout permettre à la romancière de donner un
coup de projecteur rapide mais néanmoins très éclairant sur ce qui se
passe dans l'âme de son héroïne. Mme de Lafayette ne cesse de faire avec
son héroïne ce que M. de Clèves fera lui-même avec sa femme (aussi bien
est-ce certainement la romancière qui lui en a soufflé l'idée)
lorsqu'il voudra savoir le nom de l'homme qu'elle aime : elle lui tend
des pièges. Elle ne cesse, en effet, de la placer dans des situations à
laquelle Mme de Clèves ne s'attendait pas et auxquelles, par conséquent,
elle n'était pas préparée. Ce sera le cas lorsque M. de Nemours lui
déclarera sa passion après la mort de Mme de Chartes, Mme de Clèves ne
s'attendant évidemment pas à ce que M. de Nemours ose lui parler de son
amour, fût-ce d'une manière voilée, au cours d'une visite de
condoléances. Ce sera, bien sûr, le cas lorsque M. de Nemours dérobera
son portrait. Ce sera doublement le cas lors de l'épisode de l'accident
de M. Nemours, d'abord au moment de l'accident lui-même, et ensuite
lorsque M. de Nemours, qu'on avait cru, et Mme de Clèves plus que
quiconque, « considérablement blessé [35]»,
reparaîtra chez la reine, quelques instants plus tard, « magnifiquement
habillé et comme un homme qui ne se sentait pas de l'accident qui lui
était arrivé [36]».
Ce sera le cas lors de l'épisode de la lettre où Mme de Clèves sera de
nouveau placée deux fois devant une situation à laquelle elle ne
s'attendait pas, d'abord lorsque M. de Nemours se présentera tôt le
matin chez elle [37],
et ensuite lorsqu'il lui apprendra que la fameuse lettre, dont elle
n'avait jamais pensé qu'elle pouvait être adressée à quelqu'un d'autre,
ne s'adressait pas à lui. Ce sera encore le cas lorsque M. de Nemours,
pour être sûr de voir Mme de Clèves seul à seule, se présentera chez
elle à l'heure où les dernières visiteuses en sortiront, c'est-à-dire à
un moment où Mme de Clèves ne s'attendra plus à avoir de nouvelles
visites.
.......Rien
d'étonnant à cela. Ayant conçu une héroïne qui, bien loin de
s'abandonner à ses sentiments, veut les combattre et fait tous ses
efforts pour essayer de ne pas les laisser paraître, Mme de Lafayette
est obligée, lorsqu'elle veut que Mme de Clèves laisse échapper des
signes de sa passion, de la mettre brusquement dans une situation
imprévue de façon que, prise de court, elle ne puisse ainsi s'empêcher
de laisser paraître ses sentiments, comme lorsqu'elle ne peut s'empêcher
de laisser voir son inquiétude quand M. de Nemours a son accident, ou
son euphorie soudaine lorsqu'il l'a convaincue que la lettre perdue ne
s'adressait pas à lui, ou, plus souvent, indirectement, en laissant
paraître la peur qu'elle a de les laisser paraître. Et c'est déjà le cas
ici. Bien que les sentiments de Mme de Clèves pour M. de Nemours
viennent seulement de naître et qu'elle-même ne les connaisse pas
encore, elle a déjà secrètement peur de les laisser paraître. Mais elle
n'aurait sans doute pas laissé paraître cette peur, si Mme de Lafayette,
comme elle le fera si souvent par la suite, ne l'avait aussitôt placée
dans une situation à laquelle elle ne s'attendait pas.
.......Non
seulement, en effet, Mme de Clèves ne s'attendait pas à rencontrer M. de
Nemours, mais elle ne s'attendait pas non plus et ne pouvait s'y
attendre, à le rencontrer dans des circonstances aussi exceptionnelles.
Et c'est ce que voulait la romancière. Si Mme de Clèves s'était attendue
à rencontrer M. de Nemours, si, surtout, elle avait fait sa
connaissance de la même façon qu'elle a fait jusque-là la connaissance
de tous les hommes de la cour, si la présentation s'était faite dans les
formes normales, elle aurait sans doute ressenti la même émotion
secrète en le voyant, mais elle aurait su comment se comporter et elle
n'aurait pas éprouvé l'embarras qu'elle a éprouvé en se voyant
soudainement en face d'un problème tout à fait imprévu et auquel on ne
lui avait pas appris quelle solution il convenait d'apporter :
fallait-il ou ne fallait-il pas avouer qu'elle avait reconnu un homme
qu'elle n'avait encore jamais vu ? Dans le cas présent, il n'y avait,
nous l'avons dit, aucune raison objective pour que Mme de Clèves
n'avouât pas qu'elle avait reconnu M. de Nemours, et elle l'aurait sans
doute compris, si elle avait eu le loisir d'y réfléchir un instant de
sang-froid. Mais c'était précisément ce que Mme de Lafayette ne voulait
pas.
.......La
romancière est donc pleinement parvenue à ses fins. Elle a su, grâce à
l'habile concours de circonstances qu'elle a imaginé, donner à la
première rencontre de Mme de Clèves et de M. de Nemours le caractère
singulier et romanesque qui convenait à un événement qui change tout le
cours du roman ou plutôt qui lui donne sa véritable direction et que
tout ce qui précédait ne faisait que préparer, en même temps qu'un
caractère secrètement tragique, puisque ces deux êtres, dont tout le
monde et le destin lui-même semblent se plaire à souligner qu'ils
étaient faits l'un pour l'autre, se sont rencontrés trop tard [38].
Mais elle a su aussi et surtout donner à son héroïne l'occasion de
laisser échapper un premier signe de la passion qui vient de naître en
elle, et ce premier signe annonce tout son comportement à venir.
Redisons-le, le refus de Mme de Clèves d'avouer qu'elle a reconnu M. de
Nemours, annonce beaucoup d'autres refus et prépare déjà le refus final.
NOTES :voir le site de René Pommier, http://rene.pommier.free.fr/Princesse02.htm
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire