mardi 18 octobre 2016

Texte d'élève: une dernière rencontre entre Mme de Warens et Jean-Jacques Rousseau...



LA RENCONTRE



Nous étions au printemps dernier, le jour des Rameaux de l’année 1728, je me trouvais au Quai de la Cathédrale, sur un pont et j’attendais un nouvel apprenti du nom de Jean-Jacques Rousseau.

J’allais à l’église et c’est ainsi que je le vis. Il était magnifique, avec son joli pied, la jambe fine, la bouche mignonne, les sourcils et les cheveux noirs, l’air dégagé, et je sus que j’allais l’aimer de tout mon cœur.

Je pris les lettres qu’il me tendit, en souriant, parcourus la première assez rapidement en apprenant quelques informations comme le fait qu’il est né à Genève et qu’il aurait dû arriver il y a 2 jours. Dans la seconde lettre, j’appris qu’il était très enthousiaste à l’idée de venir et qu’il avait énormément de qualités. Mais ne m’attardant point sur les détails, je lui dis : « Mon enfant, vous voilà courant le pays bien jeune ; c’est dommage en vérité. Allez chez moi m’attendre ; dîtes qu’on vous donne à déjeuner, enchainai-je sans attendre sa réponse, après la messe j’irais causer avec vous. » Il me répondit très gentiment : « Bien Madame, encore merci de ce que vous faîtes pour moi.

Pas de quoi, répondis-je. » Et sur ce, je partis à la messe emmenée par mon fidèle laquais.

A.

Texte d'élève:à propos des relations entretenues entre narrateurs et personnages dans les trois textes.

Corpus


Dans ces textes nous verrons quelles relations entretiennent les narrateurs avec leurs personnages principaux. Nous remarquons vite chez Rousseau que le narrateur et le personnage principal ne font qu’un, étant donné que son livre est une autobiographie. Contrairement à cela dans les deux autres extraits, Aurélien et L'éducation sentimentale, le narrateur prend des distances avec les personnages.


Dans le but de confirmer les relations qu’entretiennent narrateurs et auteurs nous allons d’abord observer les pronoms présents dans le texte, ainsi dans Les Confessions de Rousseau le texte est à la première personne, « Je me sentais fort humilié ». Cependant les deux autres narrateurs se servent du pronom il. Par exemple pour Aurélien « Il la trouva franchement laide ». Bien que ceci serve à créer de la distance, on sait tout de même quelles sont les pensées du personnage, auxquelles le narrateur ne s’oppose pas, dans certains passages la frontière entre le narrateur et le personnages se renferment, Les descriptions dans l'Education sentimentale sont les moments ou nous le remarquons le plus, « jamais il n’avait vu la splendeur de sa peau brune... »

Les descriptions des narrateurs envers leur personnage sont aussi un point important à prendre en compte, c’est pour cela que nous étudierons celles-ci dans cette partie.
Rousseau se décrit dans ses jeunes ages et il a un regard très positif sur lui même dans ses jeunes ages, ici l’avis du narrateur diffère avec le jeune Rousseau qui ne se voyait pas d’un très bon œil, cela est dû à la nostalgie que ressens l’écrivain et le narrateur, dans ce texte rousseau de décrit directement comme « ayant un joli,une jambe fine, un air dégagé » les deux autres auteurs nous laissent voir des personnages défectueux, possédant chacun des problèmes, mais cela n’est pas écrit directement mais fortement suggéré pour le lecteur, on ne reconnaît pas l’avis du narrateur ce qui donne une impression d’objectivité sur les personnages. Aurélien par exemple est un asocial qui n’arrive pas à positiver où une ville qu’il n’a jamais vu se transforme en champ de bataille sanglant. Le héros de Flaubert est lui dépeint comme un jeune naïf essayant de tout romantiser mais là encore le narrateur semble proche de lui ne le décrit pas ainsi directement, cel ase remarque par les regards, les actions du personnage: on dirai même que c'est un personnage plus sage qui décrit une enfance qu’il regretterait et qu’il ne serait pas sans lien avec le héros.

Alors que Rousseau essaie de faire passer un message romantique dans son texte les deux autres veulent nous faire passer un message inverse, les personnages sont décrits avec un rapprochement chez Rousseau pour que l’on puisse ressentir ce qu’il ressent, l’éloignement est créé avec les deux autres pour que l’on puisse être objectif et remarquer les erreurs qu’ils font aux lieu de les faire avec eux.

V.

mardi 11 octobre 2016

Propositions de romans en lecture cursive


Voici les romans au choix à lire seuls pour compléter notre travail en classe:


Pour le 17e siècle et en prolongement de l'étude des coups de foudre:

La princesse de Clèves, de Madame de Lafayette



Portrait de Madame de La Fayette
Madame de Lafayette
En 1558 paraît une belle jeune fille de seize ans à la cour d'Henri II : Mademoiselle de Chartres. Orpheline de père, elle est accompagnée de sa mère, qui l'a éduquée. Intensément épris, le prince de Clèves fait sa demande. Mademoiselle de Chartres consent à ce mariage de raison. Elle devient alors la princesse de Clèves. Elle et sa mère présument que la tendresse et le temps feront s'épanouir l'amour conjugal.
Lors d'un bal donné par le roi, la princesse rencontre le duc de Nemours. Surgit une passion amoureuse immédiate et réciproque, mais tue.









Au 18e siècle, un roman choral bien avant Réparer les vivants:

Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos


Choderlos de Laclos fait publier ce roman épistolaire en 1782. Les liaisons dangereuses sont une oeuvre majeure de cette époque, portant à son sommet la forme épistolaire. Dans un contexte d’affrontement entre puritanisme et libertinage, l’auteur a tenté de démontrer au libertin que cette voie est sans issue.
Le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil sont deux libertins qui cachent leur complicité aux yeux de tous en ne communiquant que par correspondance. Ils y échangent leurs exploits d’alcôves. Le Vicomte s’amuse à mener ses conquêtes à leur perte et la marquise venge son sexe auprès des hommes.
Le verrou peint par Jean-Honoré Fragonard en 1776, Musée du Louvre
Le verrou, Fragonard




au 19e siècle, prolongez la lecture de la rencontre entre Frédéric Moreau et Madame Arnoux par

L'Education sentimentale, de Flaubert



Cours de Français - Gustave Flaubert - Maxicours.com
Flaubert.
L'Éducation sentimentale comporte de nombreux éléments autobiographiques, tels la rencontre de madame Arnoux, inspirée de la rencontre de Flaubert avec Élisa Schlésinger, l'amour de sa vie. Le personnage principal est Frédéric Moreau, jeune provincial de dix-huit ans venant faire ses études à Paris. De 1840 à 1867, celui-ci connaîtra l’amitié indéfectible et la force de la bêtise, l’art, la politique, les révolutions d’un monde qui hésite entre la monarchie, la république et l’empire. Plusieurs femmes traversent son existence, mais aucune ne peut se comparer à Marie Arnoux, épouse d’un riche marchand d’art, dont il est éperdument amoureux. C’est au contact de cette passion inactive et des contingences du monde qu’il fera son éducation sentimentale, qui se résumera pour l’essentiel à brûler, peu à peu, ses illusions.



 

au 20e siècle, venez découvrir l'amour impossible d'Aurélien pour Bérénice avec

Aurélien d'Aragon


III. 2 : André Malraux © DR III. 3 : Louis Aragon © DRAurélien est un roman ambigu et très riche donnant à voir les dérives morales d’un jeune bourgeois, Aurélien, qui incarne le fameux mal du siècle qu'avait connu l'écrivain pendant sa jeunesse. Aurélien dépeint une génération prise entre-deux-guerres, sans identité propre, qui se laisse aller à une trêve trop gaie pour être réelle, les fameuses années 1920 dites « folles », reconstituées ici avec leurs figures et leurs lieux les plus marquants.
Aragon travaille la fêlure psychologique de son héros, rentier sans activité qui traîne son mal-être et son imaginaire morbide dans un Paris mondain où les valeurs semblent toutes dérisoires. Aurélien tombe néanmoins dans le « piège amoureux » vers lequel son entourage le pousse et il se laisse aller, malgré lui, à aimer Bérénice, une jeune provinciale qui a le goût de l'absolu.


... la Seine, photographie du moulage par Man Ray pour Aurélien d'Aragon

 

au 21e siècle, tentez un autre roman choral,

La mort du roi Tsongor, de Laurent Gaudé


La mort du roi Tsongor
Laurent Gaudé

Ce roman raconte l'histoire d'un roi qui se suicide pour éviter la guerre qui aura tout de même lieu. L'histoire ressemble à celle de la Guerre de Troie : deux hommes se battent pour une femme entraînant leurs armées avec eux. Sango Kerim et Kouame sont les deux prétendants de Samilia, la fille du roi Tsongor. Ces hommes ont monté leur armée pour se combattre en vain, car Samilia a quitté le front, ayant décidé de ne choisir aucun des deux hommes. Ces deux hommes seront tués par un personnage drogué, Barnak, l'un des lieutenants de Kouame. Souba, l'un des fils du roi Tsongor, a pour mission de bâtir sept tombeaux qui représentent son père, cachés dans des lieux reculés. Pendant ce temps Katabolonga, porteur du tabouret d'or du roi, veille sur son corps, tandis que Samilia n'est toujours pas retrouvée.

lundi 10 octobre 2016

Entrer dans Réparer les vivants







Réparer les vivants - Maylis de Kerangal - Livre - France Loisirs 



Questionnaire de lecture




  1. Les personnages.


    1. Etablir une fiche synthétique des personnages :
      nom – prénom – fonction – portrait rapide


    1. Rechercher le sens de leurs noms de famille.
      Commenter : appartiennent-ils à des champs lexicaux déterminés ? Lesquels ? Pourquoi ?



  1. Préparation aux analyses d'extraits.



Choisir un de ces cinq textes :

  • L'incipit
    texte complémentaire : la fin du roman.
  • la rencontre entre Pierre Revol et les parents, p. 103 à 105 (« Pierre Révol a ressaisi son corps... froid, bleu et immobile »)
    texte complémentaire : le portrait de Pierre Revol p. 42 à 46
  • p.123 à 125 (« Ils se sont tenus par la main... pris dans cette torsion. »)
  • Cordelia Owl p. 34 (« L'infirmière qui a parlé... sur qui il allait pouvoir compter. »)
  • Claire : l'appel, p. 215 à 216 (« Encore un appel... il faut qu'elle se prépare »)

    Alain Nicolas | LinkedIn

    1. Repérer les personnages.
    2. Étudier leur trajectoire avant et après l'extrait : que représente ce moment dans leur évolution ?
    3. Préparer trois questions pour Alain Nicolas, le critique littéraire avec qui vous serez en contact, pour vous aider à interpréter le texte.







  1. Préparation à l'analyse de la mise en scène.

    ... (Réparer les vivants): il trailer del film di Katell Quillévéré 
    1. Un film est plus court qu'un roman : quelles scènes garderiez-vous ? Pourquoi ?
    2. Comment donner de l'épaisseur aux personnages si on supprime leurs histoires personnelles ? Choisissez un ou deux personnages et proposez des pistes scénaristiques et de mise en scène.





  1. Préparation à l'étude du roman.



Lire un article, et visionner ou écouter un entretien avec l'auteur. En tirer deux questions sur le sens du roman ou votre extrait, qui n'ont pas été abordées auparavant, pour les poser à Maylis de Kerangal lors de notre conversation par skype.

Réparer les vivants" : la palpitante épopée d'un cœur par Maylis ... 



Sur le site de l'école des lettres :




Sur le site de Culturopoing :




Sur le site de Télérama :




Sur le site du Nouvel Observateur :




Sur le site de Onlalu :




Sur le site de la Page des libraires :




Podcast sur le site de France Culture :






Vidéos :



sur le site de Gallimard :




sur le site des Libraires :




sur Youtube (Sauramps Librairies) :




sur Youtube (France Culture pour le prix des Etudiants France Culture/Télérama) :



La rencontre avec Rousseau vue par Madame de Warens: textes d'élèves.

Une rencontre prometteuse...
Ce fut un magnifique jour, celui des Rameaux de l'année 1728. J'étais près de la rivière, la main sur la barrière, je marchais tout en pensant à la messe. Il y avait de belles fleurs dans la cour de la maison d'en face. Un oiseau posé sur un arbre chantait une jolie petite mélodie printanière. J'entendis une voix, celle d'un jeune homme chétif, âgé d'une quinzaine d'années; lorsque je me retournai, je vis un garçon avec un regard soutenu, les yeux brillants, les cheveux légèrement décoiffés, le teint vif, l'air content de me voir. Il me tendit une lettre que je lus d'une seule traite. Il y avait un courrier de M. De Pontverre et un autre du jeune homme. Il avait un style bien particulier d'écriture avec des scènes où je me crus dedans. Je voulu le relire une autre fois quand mon laquais m'interrompit pour me dire qu'il était temps d'entrer dans l'église; alors je dis au garçon : "Eh !  Mon enfant, vous voilà courant le pays bien jeune ;  c'est dommage en vérité". Et avant qu'il ne puisse me répondre j'ajoutai : "Allez chez moi m'attendre ;  dites qu'on vous donne à déjeuner, après la messe j'irai causer avec vous". Puis j'entrais dans l'église, me retournai et le vis au même endroit. Il me toisa du regard comme si l'enfant ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Enfin, la messe commença.
C. 

Madame de Warens: la madre-amante de Rousseau – QueAprendemosHoy.com 

une rencontre maternelle...
Je suis sur le chemin pour aller à la messe. Je ne suis pas en retard, j'en profite donc pour admirer le beau temps en flânant. Aujourd’hui c'est le jour des Rameaux en cette année 1728, le printemps est particulièrement agréable. Les oiseaux chantent une douce mélodie exprimant leur joie d'avoir retrouvée une chaleur ambiante après en hiver plutôt rude et froid. A main droite, j'aperçois un couple assis sur un banc entouré de fleurs et plus loin des enfants courent dans les allées sous la surveillance de leur gouvernante. Au loin, je remarque un parterre de jonquilles, j'adore ces fleurs. Sur les berges du Thiou s'élèvent de nouvelles bâtisses etd'autres sont en construction. Je suis à présent sur la place du Quai de la Cathédrale, et je m'apprête à franchir une fausse porte qui permet d’accéder à l'Eglise des Cordeliers. Soudain, j'attends une voix et me retourne. C'est un jeune garçon. Je ne saurais définir son âge mais il me semble très jeune avec sa petite taille, ses cheveux très bruns et ses yeux expressifs qui attisent ma curiosité. Je le vois, je l’attends, je l’écoute. Il me tend deux lettres d’une main tremblante, comme intimidé par ma présence. Je lui souris en les prenant. Je jette un coup d’oeil rapide à celle de M.Pontverre puis m’attarde sur la deuxième qui est sans doute la sienne. Son écriture ressemble a celle d’un jeune écrivain qui fait ses débuts. Ses phrases, ses mots, tout est choisi avec une tel précision et poésie que je pourrais la relire encore et encore sans jamais me lasser. Je vais pour la relire c’est alors que mon laquais m’informe qu’il est temps d’entrer. Je lui dit rapidement : « Eh ! Mon enfant (Je le vois tressaillir), vous voila courant le pays bien jeune ; c’est dommage en vérité. Aller chez moi m’attendre ; dites qu’on vous donne à déjeuner ; après la messe ; j’irai causer avec vous. » Il me fait un signe d’approbation et nous nous séparons.
M. 

... ou la promesse de l'amour?
Sur le chemin de l'église, un individu s'approcha de ma personne, en me tendant d'une main tremblante, une enveloppe qui m'était adressée. Deux lettres se trouvaient à l'intérieur. La première, signée par Monsieur de Pontverrre, un prête du pays voisin qui me demandait d'avoir la délicatesse d accueillir ce jeune homme dans ma demeure.
Je me concentrais davantage sur la deuxième car l'auteur, qui se trouvait en face de moi, me caressait de son regard et me provoquait un sentiment de bien être. Jamais je n'aurais imaginé son contenu si joliment travaillé par ce voyageur dont l'apparence mal soignée me fit tout à coup douter de sa sincérité. Malgré ses cheveux désordonnés, ses habits troués et ses chaussures usées, je vis en lui quelqu'un de bon, de généreux, les yeux pétillants de bonnes intentions.
Je voulus relire cette lettre afin de prolonger ce moment fort agréable. Ces écrits dont l'éloquence me rappelaient de  grands auteurs, me rendaient émotionnellement fragile. Et bouleversaient mes pensées dirigées vers mon seigneur.
Sans compter sur l'aide de mon laquais, qui me ramena brutalement vers le chemin de Dieu : Il était temps de rentrer dans l'église. Triste de quitter ce jeune homme sans avoir eu la possibilité d'en connaître davantage sur sa vie, je décide tout naturellement  de lui indiquer ma demeure afin de lui offrir un peu de confort.
" Et mon enfant vous voilà courant le pays bien jeune, c'est dommage en vérité ."
J'eus cette soudaine sensation qu'il s'apprêtait à converser , mais le temps ne s'y prêtant pas , je l'interrompis.
"Allez m'attendre chez moi et dites qu'on vous donne à déjeuner ; après la messe j'irai causer avec vous."
Pressé par le laquais, je l'invitais à se rendre dans mes appartements tandis que j'entrais dans la maison du seigneur.
Malgré ma grande foi ce jeune homme absorbait mes pensées les plus profondes.
P.

mercredi 5 octobre 2016

Premier groupement de textes: La rencontre amoureuse




Quatre extraits pour entrer dans la rencontre amoureuse, et produire nos propres textes... Mais commençons par regarder le topos tel qu'il a été utilisé, modifié, et raillé par de grands auteurs!




Texte complémentaire n°1 : La princesse de Clèves


Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença et, comme elle dansait avec Monsieur de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva de danser et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le Roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que Monsieur de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte qu'il parut difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Madame de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement. Monsieur de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le Roi et les Reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vu, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini, sans leur laisser le loisir de parler à personne, et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point.

- Pour moi, Madame, dit Monsieur de Nemours, je n'ai pas d'incertitude ; mais comme Madame de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître, je voudrais que votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.
- Je crois, dit Madame La Dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous savez le sien.
- Je vous assure, Madame, reprit Madame de Clèves qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.
- Vous devinez fort bien, répondit Madame la Dauphine ; et il y a même quelque chose d'obligeant pour Monsieur de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez déjà sans l'avoir jamais vu. 

Madame de La Fayette, La princesse de Clèves, 1678




GT n°1 / Texte n°1 : Première rencontre avec Mme de Warens

... de 1728 Jean-Jacques Rousseau rencontrait ici Madame de Warens



Je me sentais fort humilié d'avoir besoin d'une bonne dame bien charitable. J'aimais fort qu'on me donnât mon nécessaire, mais non pas qu'on me fît la charité ; et une dévote n'était pas pour moi fort attirante. Toutefois, pressé par M. de Pontverre, par la faim qui me talonnait, bien aise aussi de faire un voyage et d'avoir un but, je prends mon parti, quoique avec peine, et je pars pour Annecy. J'y pouvais être aisément en un jour ; mais je ne me pressais pas, j'en mis trois. Je ne voyais pas un château à droite ou à gauche sans aller chercher l'aventure que j'étais sûr qui m'y attendait.(...)
J'arrive enfin ; je vois Mme de Warens. Cette époque de ma vie a décidé de mon caractère ; je ne puis me résoudre à la passer légèrement. J'étais au milieu de ma seizième année. Sans être ce qu'on appelle un beau garçon, j'étais bien pris dans ma petite taille ; j'avais un joli pied, la jambe fine, l'air dégagé, la physionomie animée, la bouche mignonne, les sourcils et les cheveux noirs, les yeux petits et même enfoncés, mais qui lançaient avec force le feu dont mon sang était embrasé. Malheureusement je ne savais rien de tout cela, et de ma vie il ne m'est arrivé de songer à ma figure que lorsqu'il n'était plus temps d'en tirer parti. Ainsi j'avais avec la timidité de mon âge celle d'un naturel très aimant, toujours troublé par la crainte de déplaire. D'ailleurs, quoique j'eusse l'esprit assez orné, n'ayant jamais vu le monde, je manquais totalement de manières, et mes connaissances, loin d'y suppléer, ne servaient qu'à m'intimider davantage, en me faisant sentir combien j'en manquais
Craignant donc que mon abord ne prévînt pas en ma faveur, je pris autrement mes avantages, et je fis une belle lettre en style d'orateur, où cousant des phrases des livres avec des locutions d'apprenti, je déployais toute mon éloquence pour capter la bienveillance de Mme de Warens. J'enfermai la lettre de M. de Pontverre dans la mienne, et je partis pour cette terrible audience. Je ne trouvai point Mme de Warens ; on me dit qu'elle venait de sortir pour aller à l'église. C'était le jour des Rameaux de l'année 1728. Je cours pour la suivre : je la vois, je l'atteins, je lui parle... Je dois me souvenir du lieu ; je l'ai souvent depuis mouillé de mes larmes et couvert de mes baisers. Que ne puis-je entourer d'un balustre d'or cette heureuse place ! que n'y puis-je attirer les hommages de toute la terre ! Quiconque aime à honorer les monuments du salut des hommes n'en devrait approcher qu'à genoux.
C'était un passage derrière sa maison, entre un ruisseau à main droite qui la séparait du jardin, et le mur de la cour à gauche, conduisant par une fausse porte à l'église des Cordeliers. Prête à entrer dans cette porte, Mme de Warens se retourne à ma voix. Que devins-je à cette vue ! Je m'étais figuré une vieille dévote bien rechignée ; la bonne dame de M. de Pontverre ne pouvait être autre chose à mon avis. Je vois un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le contour d'une gorge enchanteresse. Rien n'échappa en rapide coup d'oeil du jeune prosélyte, car je devins à l'instant le sien, sûr qu'une religion prêchée par de tels missionnaires ne pouvait manquer de mener au paradis. Elle prend en souriant la lettre que je lui présente d'une main tremblante, l'ouvre, jette un coup d'oeil sur celle de M. de Pontverre, revient à la mienne, qu'elle lit tout entière, et qu'elle eût relue encore si son laquais ne l'eût avertie qu'il était temps d'entrer. "Eh ! mon enfant, me dit-elle d'un ton qui me fit tressaillir, vous voilà courant le pays bien jeune ; c'est dommage en vérité" . Puis, sans attendre ma réponse, elle ajouta : " Allez chez moi m'attendre ; dites qu'on vous donne à déjeuner ; après la messe j'irai causer avec vous. "
 Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, extrait du livre II, 1782



vierge a enfant vue par les peintres - Page 4
La Vierge, Raphaël
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La vierge et trois anges, Botticelli


GT n°1 / Texte n°2 : Frédéric et madame Arnoux

Ce fut comme une apparition :

Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.

Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu.

Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.

Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites.

Une négresse, coiffée d'un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L'enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s'éveiller. Elle la prit sur ses genoux. " Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. " Et Frédéric se réjouissait d'entendre ces choses, comme s'il eût fait une découverte, une acquisition.

Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ?

Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :

- " Je vous remercie, monsieur. "

Leurs yeux se rencontrèrent.

- " Ma femme, es-tu prête ? " cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de l'escalier.

Flaubert - L'éducation sentimentale - Extrait du chapitre 1 de la première partie, 1869

La Promenade, la femme à l ombrelle, Claude Monet 1875, huile sur ...
Femme à l'ombrelle, Monet, 1875



GT n°1 / Texte n°3 : La première fois qu’Aurélien vit Bérénice


La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n'aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu'il n'aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu'il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d'Orient sans avoir l'air de se considérer dans l'obligation d'avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n'aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l'avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d'ennui et d'irritation. Il se demanda même pourquoi. C'était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois… Qu'elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n'y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l'irritait.
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu'il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l'avait obsédé, qui l'obsédait encore :
Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
En général, les vers, lui… Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? c'est ce qu'il ne s'expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l'histoire de Bérénice…l'autre, la vraie… D'ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette romance, cette scie. Brune alors, la Bérénice de la tragédie. Césarée, c'est du côté d'Antioche, de Beyrouth. Territoire sous mandat. Assez moricaude, même, des bracelets en veux-tu en voilà, et des tas de chichis, de voiles. Césarée… un beau nom pour une ville. Ou pour une femme. Un beau nom en tout cas. Césarée…  Je demeurai longtemps … je deviens gâteux. Impossible de se souvenir : comment s'appelait-il, le type qui disait ça, une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard, avec des yeux de charbon, la malaria… qui avait attendu pour se déclarer que Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage, à Rome, avec un bellâtre potelé, ayant l'air d'un marchand de tissus qui fait l'article, à la manière dont il portait la toge. Tite. Sans rire. Tite.
Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
Ça devait être une ville aux voies larges, très vide et silencieuse. Une ville frappée d'un malheur. Quelque chose comme une défaite. Désertée. Une ville pour les hommes de trente ans qui n'ont plus de cœur à rien. Une ville de pierre à parcourir la nuit sans croire à l'aube. Aurélien voyait des chiens s'enfuir derrière les colonnes, surpris à dépecer une charogne. Des épées abandonnées, des armures. Les restes d'un combat sans honneur.

Louis Aragon, Aurélien, incipit, 1944