Quatre extraits pour entrer dans la rencontre amoureuse, et produire nos propres textes... Mais commençons par regarder le topos tel qu'il a été utilisé, modifié, et raillé par de grands auteurs!
Texte complémentaire n°1 : La princesse de Clèves
Elle passa tout le jour des fiançailles
chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin
royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa
beauté et sa parure ; le bal commença et, comme elle dansait
avec Monsieur de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte
de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait
place. Madame de Clèves acheva de danser et, pendant qu'elle
cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le Roi
lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un
homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que Monsieur de Nemours,
qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on
dansait. Ce prince était fait d'une sorte qu'il parut difficile de
n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu,
surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer
augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ;
mais il était difficile aussi de voir Madame de Clèves pour la
première fois sans avoir un grand étonnement. Monsieur de Nemours
fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle,
et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner
des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il
s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le Roi et les Reines
se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vu, et trouvèrent quelque
chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître.
Ils les appelèrent quand ils eurent fini, sans leur laisser le
loisir de parler à personne, et leur demandèrent s'ils n'avaient
pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient
point.
- Pour moi, Madame, dit Monsieur de Nemours, je n'ai pas d'incertitude ; mais comme Madame de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître, je voudrais que votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.
- Je crois, dit Madame La Dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous savez le sien.
- Je vous assure, Madame, reprit Madame de Clèves qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.
- Vous devinez fort bien, répondit Madame la Dauphine ; et il y a même quelque chose d'obligeant pour Monsieur de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez déjà sans l'avoir jamais vu.
- Pour moi, Madame, dit Monsieur de Nemours, je n'ai pas d'incertitude ; mais comme Madame de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître, je voudrais que votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.
- Je crois, dit Madame La Dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous savez le sien.
- Je vous assure, Madame, reprit Madame de Clèves qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.
- Vous devinez fort bien, répondit Madame la Dauphine ; et il y a même quelque chose d'obligeant pour Monsieur de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez déjà sans l'avoir jamais vu.
Madame de La Fayette, La
princesse de Clèves, 1678
GT n°1 / Texte n°1 : Première rencontre avec Mme de Warens
Je me sentais fort humilié d'avoir
besoin d'une bonne dame bien charitable. J'aimais fort qu'on me
donnât mon nécessaire, mais non pas qu'on me fît la charité ; et
une dévote n'était pas pour moi fort attirante. Toutefois, pressé
par M. de Pontverre, par la faim qui me talonnait, bien aise aussi de
faire un voyage et d'avoir un but, je prends mon parti, quoique avec
peine, et je pars pour Annecy. J'y pouvais être aisément en un jour
; mais je ne me pressais pas, j'en mis trois. Je ne voyais pas un
château à droite ou à gauche sans aller chercher l'aventure que
j'étais sûr qui m'y attendait.(...)
J'arrive enfin ; je vois Mme de Warens.
Cette époque de ma vie a décidé de mon caractère ; je ne puis me
résoudre à la passer légèrement. J'étais au milieu de ma
seizième année. Sans être ce qu'on appelle un beau garçon,
j'étais bien pris dans ma petite taille ; j'avais un joli pied, la
jambe fine, l'air dégagé, la physionomie animée, la bouche
mignonne, les sourcils et les cheveux noirs, les yeux petits et même
enfoncés, mais qui lançaient avec force le feu dont mon sang était
embrasé. Malheureusement je ne savais rien de tout cela, et de ma
vie il ne m'est arrivé de songer à ma figure que lorsqu'il n'était
plus temps d'en tirer parti. Ainsi j'avais avec la timidité de mon
âge celle d'un naturel très aimant, toujours troublé par la
crainte de déplaire. D'ailleurs, quoique j'eusse l'esprit assez
orné, n'ayant jamais vu le monde, je manquais totalement de
manières, et mes connaissances, loin d'y suppléer, ne servaient
qu'à m'intimider davantage, en me faisant sentir combien j'en
manquais
Craignant donc que mon abord ne prévînt
pas en ma faveur, je pris autrement mes avantages, et je fis une
belle lettre en style d'orateur, où cousant des phrases des livres
avec des locutions d'apprenti, je déployais toute mon éloquence
pour capter la bienveillance de Mme de Warens. J'enfermai la lettre
de M. de Pontverre dans la mienne, et je partis pour cette terrible
audience. Je ne trouvai point Mme de Warens ; on me dit qu'elle
venait de sortir pour aller à l'église. C'était le jour des
Rameaux de l'année 1728. Je cours pour la suivre : je la vois, je
l'atteins, je lui parle... Je dois me souvenir du lieu ; je l'ai
souvent depuis mouillé de mes larmes et couvert de mes baisers. Que
ne puis-je entourer d'un balustre d'or cette heureuse place !
que n'y puis-je attirer les hommages de toute la terre !
Quiconque aime à honorer les monuments du salut des hommes n'en
devrait approcher qu'à genoux.
C'était un passage derrière sa maison,
entre un ruisseau à main droite qui la séparait du jardin, et le
mur de la cour à gauche, conduisant par une fausse porte à l'église
des Cordeliers. Prête à entrer dans cette porte, Mme de Warens se
retourne à ma voix. Que devins-je à cette vue ! Je m'étais
figuré une vieille dévote bien rechignée ; la bonne dame de M. de
Pontverre ne pouvait être autre chose à mon avis. Je vois un visage
pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint
éblouissant, le contour d'une gorge enchanteresse. Rien n'échappa
en rapide coup d'oeil du jeune prosélyte, car je devins à l'instant
le sien, sûr qu'une religion prêchée par de tels missionnaires ne
pouvait manquer de mener au paradis. Elle prend en souriant la lettre
que je lui présente d'une main tremblante, l'ouvre, jette un coup
d'oeil sur celle de M. de Pontverre, revient à la mienne, qu'elle
lit tout entière, et qu'elle eût relue encore si son laquais ne
l'eût avertie qu'il était temps d'entrer. "Eh ! mon
enfant, me dit-elle d'un ton qui me fit tressaillir, vous voilà
courant le pays bien jeune ; c'est dommage en vérité" . Puis,
sans attendre ma réponse, elle ajouta : " Allez chez moi
m'attendre ; dites qu'on vous donne à déjeuner ; après la messe
j'irai causer avec vous. "
Jean-Jacques Rousseau, Les
Confessions, extrait du livre
II, 1782
La Vierge, Raphaël |
La vierge et trois anges, Botticelli |
GT n°1 / Texte n°2 : Frédéric et madame Arnoux
Ce fut comme une apparition :
Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.
Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu.
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.
Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites.
Une négresse, coiffée d'un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L'enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s'éveiller. Elle la prit sur ses genoux. " Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. " Et Frédéric se réjouissait d'entendre ces choses, comme s'il eût fait une découverte, une acquisition.
Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ?
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :
- " Je vous remercie, monsieur. "
Leurs yeux se rencontrèrent.
- " Ma femme, es-tu prête ? " cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de l'escalier.
Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.
Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu.
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.
Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites.
Une négresse, coiffée d'un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L'enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s'éveiller. Elle la prit sur ses genoux. " Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. " Et Frédéric se réjouissait d'entendre ces choses, comme s'il eût fait une découverte, une acquisition.
Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ?
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :
- " Je vous remercie, monsieur. "
Leurs yeux se rencontrèrent.
- " Ma femme, es-tu prête ? " cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de l'escalier.
Flaubert
- L'éducation sentimentale - Extrait
du chapitre 1 de la première partie, 1869
Femme à l'ombrelle, Monet, 1875 |
GT n°1 / Texte n°3 : La première fois qu’Aurélien vit Bérénice
La
première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement
laide. Elle lui déplut, enfin. Il n'aima pas comment elle était
habillée. Une étoffe qu'il n'aurait pas choisie. Il avait des idées
sur les étoffes. Une étoffe qu'il avait vue sur plusieurs femmes.
Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse
d'Orient sans avoir l'air de se considérer dans l'obligation d'avoir
du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les
cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n'aurait
pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l'avait mal regardée.
Il lui en demeurait une impression vague, générale, d'ennui et
d'irritation. Il se demanda même pourquoi. C'était disproportionné.
Plutôt petite, pâle, je crois… Qu'elle se fût appelée Jeanne ou
Marie, il n'y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice.
Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l'irritait.
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu'il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l'avait obsédé, qui l'obsédait encore :
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu'il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l'avait obsédé, qui l'obsédait encore :
Je
demeurai longtemps errant dans Césarée…
En
général, les vers, lui… Mais celui-ci lui revenait et revenait.
Pourquoi ? c'est ce qu'il ne s'expliquait pas. Tout à fait
indépendamment de l'histoire de Bérénice…l'autre, la vraie…
D'ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette
romance, cette scie. Brune alors, la Bérénice de la tragédie.
Césarée, c'est du côté d'Antioche, de Beyrouth. Territoire sous
mandat. Assez moricaude, même, des bracelets en veux-tu en voilà,
et des tas de chichis, de voiles. Césarée… un beau nom pour une
ville. Ou pour une femme. Un beau nom en tout cas. Césarée…
Je demeurai longtemps … je deviens gâteux. Impossible de se
souvenir : comment s'appelait-il, le type qui disait ça, une espèce
de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard, avec des yeux de
charbon, la malaria… qui avait attendu pour se déclarer que
Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage, à Rome, avec
un bellâtre potelé, ayant l'air d'un marchand de tissus qui fait
l'article, à la manière dont il portait la toge. Tite. Sans rire.
Tite.
Je
demeurai longtemps errant dans Césarée…
Ça
devait être une ville aux voies larges, très vide et silencieuse.
Une ville frappée d'un malheur. Quelque chose comme une défaite.
Désertée. Une ville pour les hommes de trente ans qui n'ont plus de
cœur à rien. Une ville de pierre à parcourir la nuit sans croire à
l'aube. Aurélien voyait des chiens s'enfuir derrière les colonnes,
surpris à dépecer une charogne. Des épées abandonnées, des
armures. Les restes d'un combat sans honneur.
Louis
Aragon, Aurélien,
incipit, 1944
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