vendredi 20 janvier 2017

Entraînement au bac: sujet sur l'argumentation



La dénonciation de l’esclavage au siècle des Lumières





Corpus :

A. Montesquieu, De l’esprit des lois, chap. « De l’esclavage des nègres », 1748

B. Jaucourt, article « Traite des nègres », L’Encyclopédie, 1751-1766

C. Voltaire, Candide, chap. 19, 1759

D. Diderot, contribution à l’Histoire des deux Indes de l’Abbé Raynal, chap. « De l’esclavage », 1770

Document annexe : Girodet,  Jean-Baptiste Belley, député de Saint-Domingue, 1797





Question :

Sur quels reproches les auteurs de ces quatre textes fondent-ils leur dénonciation de l’esclavage ?





Travail d’écriture :

Vous traiterez l’un des trois sujets suivants au choix.



Commentaire :

Vous ferez le commentaire du texte A.



Dissertation :

Les auteurs de ce corpus ont « pris leur plume pour une épée » (Jean-Paul Sartre, Les Mots, 1964). Pensez-vous que la littérature soit une bonne arme pour dénoncer des inégalités, défendre une cause ?



Ecriture d’invention :

En 1793, la Convention fait venir à Paris une délégation venant de Saint-Domingue, en vue d’étudier une proposition d’abolition de l’esclavage. Parmi les représentants de Saint-Domingue figure Jean-Baptiste Belley, un esclave noir affranchi.

Vous imaginerez son discours adressé aux députés de la Convention pour faire abolir l’esclavage et dénoncer les conditions de vie des esclaves noirs. Vous utiliserez éventuellement les arguments proposés dans les textes du corpus et veillerez à employer des procédés persuasifs variés.




Document A : Montesquieu « De l’esclavage des nègres », De l’esprit des lois, 1748


Dans ce texte, Montesquieu donne la parole aux esclavagistes pour montrer combien leurs arguments sont absurdes.


Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font les eunuques[1], privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une façon plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Egyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez les nations policées, est d'une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?



Document B : Jaucourt, article « Traite des nègres », L’Encyclopédie, 1751-1766


TRAITE DES NEGRES (Commerce d’Afrique) : c’est l’achat des nègres que font les Européens sur les côtes d’Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en qualité d’esclaves. Cet achat de nègres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine.
Les nègres, dit un Anglais moderne plein de lumières et d’humanité, ne sont point devenus esclaves par le droit de la guerre ; ils ne se dévouent pas non plus volontairement eux-mêmes à la servitude, et par conséquent leurs enfants ne naissent point esclaves. Personne n’ignore qu’on les achète de leurs princes, qui prétendent avoir droit de disposer de leur liberté, et que les négociants les font transporter de la même manière que leurs autres marchandises, soit dans leurs colonies, soit en Amérique où ils les exposent en vente.
Si un commerce de ce genre peut être justifié par un principe de morale, il n’y a point de crime, quelque atroce qu’il soit, qu’on ne puisse légitimer. Les rois, les princes, les magistrats ne sont point les propriétaires de leurs sujets, ils ne sont donc pas en droit de disposer de leur liberté, et de les vendre pour esclaves.
D’un autre côté, aucun homme n’a droit de les acheter ou de s’en rendre le maître ; les hommes et leur liberté ne sont point un objet de commerce ; ils ne peuvent être ni vendus, ni achetés, ni payés à aucun prix. Il faut conclure de là qu’un homme dont l’esclave prend la fuite, ne doit s’en prendre qu’à lui-même, puisqu’il avait acquis à prix d’argent une marchandise illicite, et dont l’acquisition lui était interdite par toutes les lois de l’humanité et de l’équité[2].
Il n’y a donc pas un seul de ces infortunés que l’on prétend n’être que des esclaves, qui n’ait droit d’être déclaré libre, puisqu’il n’a jamais perdu la liberté ; qu’il ne pouvait pas la perdre ; et que son prince, son père, et qui que ce soit dans le monde n’avait le pouvoir d’en disposer ; par conséquent la vente qui en a été faite est nulle en elle-même : ce nègre ne se dépouille, et ne peut pas même se dépouiller jamais de son droit naturel ; il le porte partout avec lui, et il peut exiger partout qu’on l’en laisse jouir. C’est donc une inhumanité manifeste de la part des juges de pays libres où il est transporté, de ne pas l’affranchir à l’instant en le déclarant libre, puisque c’est leur semblable, ayant une âme comme eux.



Document C : Voltaire, Candide, 1759


En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. "Eh, mon Dieu, lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui monsieur, dit le nègre, c'est l'usage[3]. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches[4], adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. » Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible. »


 

Document D : Diderot, « De l’esclavage », Histoire des deux Indes, 1770


Parue sans nom d’auteur, l’Histoire des deux Indes est une œuvre considérable consacrée à l’expansion coloniale de l’Europe au XVIIIe siècle. Attribuée à l’abbé Raynal, c’est en fait un ouvrage collectif. Diderot y collabora, et rédigea probablement les pages consacrées à l’esclavage. Dans ce dialogue fictif, un partisan de l’esclavage et un opposant à l’esclavage échangent leurs arguments.


-          Mais les anciens peuples se croyaient, dit-on, maîtres de la vie de leurs esclaves ; et nous, devenus humains, nous ne disposons plus que de leur liberté, que de leur travail.

-          Il est vrai. Le cours des lumières a éclairé sur ce point important les législateurs modernes. Tous les codes, sans exception, se sont armés pour la conservation de l´homme même qui languit dans la servitude. Ils ont voulu que son existence fût sous la protection du magistrat, que les tribunaux seuls en pussent précipiter le terme. Mais cette loi[5], la plus sacrée des institutions sociales, a-t-elle jamais eu quelque force ? L´Amérique n´est-elle pas peuplée de colons atroces qui, usurpant insolemment les droits souverains, font expier par le fer ou dans la flamme les infortunées victimes de leur avarice ? (...) Tout mon sang se soulève à ces images horribles. Je hais, je fuis l´espèce humaine, composée de victimes et de bourreaux ; et si elle ne doit pas devenir meilleure, puisse-t-elle s´anéantir !

-          Mais les nègres sont une espèce d´hommes nés pour l´esclavage. Ils sont bornés, fourbes, méchants ; ils conviennent eux-mêmes de la supériorité de notre intelligence, et reconnaissent presque la justice de notre empire[6].

-          Les nègres sont bornés, parce que l´esclavage brise tous les ressorts de l´âme. Ils sont méchants, pas assez avec vous. Ils sont fourbes, parce qu´on ne doit pas la vérité à ses tyrans. Ils reconnaissent la supériorité de notre esprit, parce que nous avons perpétué leur ignorance ; la justice de notre empire, parce que nous avons abusé de leur faiblesse. Dans l´impossibilité de maintenir notre supériorité par la force, une criminelle politique s´est rejetée sur la ruse. Vous êtes presque parvenus à leur persuader qu´ils étaient une espèce singulière, née pour l´abjection[7] et la dépendance, pour le travail et le châtiment. Vous n´avez rien négligé pour dégrader ces malheureux, et vous leur reprochez ensuite d´être vils[8].


-          Mais ces nègres étaient nés esclaves.

-          A qui, barbares, ferez-vous croire qu´un homme peut être la propriété d´un souverain ; un fils, la propriété d´un père ; une femme, la propriété d´un mari ; un domestique, la propriété d´un maître ; un nègre, la propriété d´un colon? Etre superbe[9] et dédaigneux qui méconnais tes frères, ne verras-tu jamais que ce mépris rejaillit sur toi ?




Document annexe : Girodet, Jean-Baptiste Belley, député de Saint-Domingue, 1797

Suite à l’abolition de l’esclavage par la Convention en 1794, Jean-Baptiste Belley est élu député de Saint-Domingue. Girodet fait son portrait, vêtu de l’uniforme de la Convention, appuyé sur un buste de l’Abbé Raynal, dénonciateur de l’esclavage.

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[1] Eunuque : homme châtré qui gardait et servait les femmes dans les harems. Ils étaient souvent noirs.
[2] Equité : égalité, justice.
[3] « c’est l’usage » : référence au Code Noir, qui réglemente l’esclavage des Noirs aux Antilles.
[4] Fétiches : objets ou personnes auxquels on attribue un pouvoir magique ; désigne ici les missionnaires.
[5] « cette loi » : Code Noir
[6] Empire : puissance, autorité
[7] Abjection : extrême degré d’abaissement, d’avilissement
[8] Vil : abject, bas, indigne
[9] Superbe : orgueilleux, présomptueux

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